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L'acinéma comme modèle agogique
Frank Popper, dans L'art cinétique, convoque Étienne Souriau pour la théorisation du « cinétique » : « Selon Étienne Souriau, l'agogique ou le tempo (avec ses nuances andante, adagio, presto, prestissimo) doit être nettement distingué du rythme qui ne désigne “qu'une certaine organisation structurale du temps, généralement réalisé par une figure cyclique”. L'agogique désigne aussi les nuances de l'accélération ou du ralenti (allegro, andante en musique) et cette catégorie reste techniquement à peu près impossible à expliquer – célérité ou lenteur ne répondant qu'à une impression. Deux groupes peuvent pourtant être distingués : valeurs d'excitation ou d'incitation, et valeurs d'apaisement et de calme ». La notion de rythme doit donc être dépassée pour laisser place à des notions plus transversales et applicables à tous les arts. Les deux groupements de valeurs dégagés par Souriau sont aussi explorés par le philosophe Jean-François Lyotard et constitueraient le cœur de l' « acinéma », seul cinéma véritablement « art » caractérisé par d'une part « l'extrême mobilisation » (avec des cinéastes comme Paul Sharits, Tony Conrad, Peter Kubelka, Jordan Belson ou Len Lye), d'autre part par l'extrême immobilisation (Michael Snow). Jean-Michel Durafour rapproche ce concept de celui de « cinéma même » construit par le critique et auteur Dominique Noguez à propos du cinéma expérimental : c'est la mise en valeur du mouvement pur en soi (la chose qui change selon Bergson), ou bien encore l'essence « métrique » du cinéma théorisée par Peter Kubelka. Il explicite les concepts de Lyotard à travers différents types de films, et insiste sur le fait que L'acinéma refuse la conception figurative-représentative, soit narrative, mimétique et iconique des films : « […] Des deux formes d'acinéma annoncées, la première qui vient immédiatement à l'esprit est celle que nous qualifierons de perceptive : qu'elle soit perception-matière (particulaire) (Hollis Frampton, Paul Sharits, John Whitney) ou perception-forme (géométrique) (Hans Richter, Walter Ruttmann). Il s'agit là de l'acinéma le plus radical, faisant de la perception, en deçà de toute forme reconnaissable, dans un flux d'images déferlant, le matériau premier de son expression. Lyotard le nomme, pour sa part “Abstraction lyrique”. Il présente, dans le sillage de la peinture abstraite, des défaillances figuratives, donnant à voir lignes, taches, couleurs, points, encoches, saillances, événéments sensibles : la présence phénoménale des choses (non médiatisée par la perception humaine articulée), par où le cinéma peut être aussi un art et pas seulement “manie de reproduire, de réparer et de conserver”».